TRADUCTION DE L'ENTRETIEN (p. 69) ET DU POÈME (p. 72)

IOANA BOTH (DILEMATECA) —   Pourquoi ce besoin de repli sur le corps (ton corps) dans certains de tes derniers travaux ? quel rapport avec la construction du sujet lyrique en général ?

LORENZO MENOUD — Est-ce vraiment un repli, sinon au sens étymologique d'un nouveau pli, toujours différent ? La poésie est une forme d'expérience du sujet dans le monde. Leur constitution commune, depuis plus d'un siècle, excède le langage. On peut alors concevoir ces expériences comme un anti-lyrisme ou comme une autre façon d'exprimer des sentiments.

IB — En/par quoi est-ce que le milieu électronique de l’art t’attire/te libère/t’inspire-t-il ?

LM — Ce qui m'intéresse, c'est plutôt le médium que ce qui s'y montre. Comme avec la publicité, les spams ou la génétique, par exemple, j'explore ici la possibilité de détourner une modalité représentationnelle spécifique et de l'intégrer dans le champ de la poésie qui, du coup, s'en trouve élargi (cf. ma RSS poetry [1]).

IB — A ton avis, la poésie continue-t-elle à être, de nos jours, le vecteur d’un engagement et d’une attitude critique ?

LM — C'est un sujet complexe que j'ai tenté de traiter dans plusieurs articles[2]. Pour le dire vite, la poésie n'est pas directement politique, mais le fait de s'occuper au quotidien d'autre chose que du profit et de l'asservissement d'autrui, le fait de réfléchir en pratique et collectivement à la langue et, plus généralement, à nos représentations permet à un pan entier de la société de vivre à la hauteur de ses valeurs.

IB — Quel rapport entends-tu instituer, dans ton art, entre écrire et agir ? comment le caractériser/le justifier ?

LM — Il faudrait analyser la spécificité de chacun de mes projets pour répondre précisément à cette question. Mais l'idée centrale pourrait être celle d'un va-et-vient (un jeu au sens de Gadamer?) entre l'intérieur et l'extérieur. Autrement dit, une partie de mon travail consiste à chercher de la poésie dans le monde ou à l'y placer[3], alors qu'une autre partie tend à la retrouver ou à l'inscrire dans mon corps[4].

IB — Pourquoi « serialpoet », justement ?

LM — C'est un détournement du concept de serialkiller qui vise à caractériser la multiplicité de mes pratiques d'écriture, de la poésie visuelle à la philosophie en passant par la poésie-vidéo et le récit.

IB — Quels projets as-tu en chantier en ce moment ?

LM — Je termine un récit avec photos intitulé Antarctica, je prépare une pièce sonore qui sera diffusée à la radio au Brésil lors de la biennale du Mercosul et je travaille à un projet d'installation urbaine à Genève dans le cadre d'une exposition collective intitulée "container-fiction".

IB — Tu enseignes le français à l’école. Comment leur enseignes-tu la poésie, la lecture, l’écriture à tes élèves ? comment réagissent-ils ? vit-on une époque de la mort de la lecture, ou bien d’un métissage qui serait à nuancer... ?

LM — J'enseigne à des élèves âgés de 13 à 15 ans. La littérature y est marginale et la poésie ce qui reste à étudier quand l'année se termine…

[1] http://serialpoet.eu/pages/web/rss/accueil.html.
[2] "La modernité poétique, un projet inachevé?" et "de l'écriture au dispositif : le détournement", à  paraître.
[3] Cf. mes noms communs — http://serialpoet.eu/pages/concrete-visuelle/nc.html — et mes vidéos COLIS EN MASSE ou DESR.
[4] Cf. mon Autoportrait génétique partiel ou vers une poésie sous-cutanée.