J'ENTRERAIS PAR 100 PISTES




Si, comme apparemment cela se devait, il avait disposé d'une caisse enregistreuse, transformant sans cesse ni fatigue en calculs irrécusables la menue monnaie des faits quotidiens, alors il aurait sans doute déploré la suppression de ceux-ci. Mais puisqu'il n'en était rien, puisque ce qu'il appelait son esprit fonctionnait non comme un instrument mais comme un site, dont il était exilé précisément du fait de ces faits quotidiens, comment n'aurait-il pas acclamé leur suppression, comme de chaînes?

Samuel Beckett















j'entrerais par 100 pistes.

cent pistes, des traces de pas qui m'arpentent, bien une dix mènent dans mes territoires. (il dit que lacan lui a donné de l'espace pour respirer, décoller la main du visage.)

[depuis la fenêtre du train] le camion sur la butte de sable distribue — il faudra venir le chercher, le descendre de là, quelqu'un, remplir la benne, organise une géophysique autour des objets, chacun est pris, réseau de relations paysages, ça a été mon monde dans des occasions particulières, "il faut faire…", c'est NOUS, tous ces petits JE d'actions (ME) qu'il faudra animer-articuler.




photographie du camion rouge



(reconstitution de 2011)





domestique l'objet est ma main, la main noire, droite, je la porte avec moi, au-dessous de la ceinture, personne ne la prend, le sable s'écoule entre les doigts, pend, palmes, j'avance lentement, à l'ordinateur — eau claire par temps vague.

1.
[depuis la fenêtre du train] un champ, dans le terrain qu'il délimite, un champ s'ouvre ici, recherche, mes mots un personnage, TOM, traversera le champ, hémicycle, un chariot, deux pelles, du grain à moudre, absence de monoculture, absence de lyrisme, plein champ,une brouette, un tracteur, un clou dans la porte où l'on suspend le lapin que l'on écorche, ma vie avec, appartement en ville, des livres, des lectures, des arbres, de la terre glaise, j'ouvre un champ, sous vos yeux, labour à ciel ouvert etellemeditlaissetoialler etellemeditvaauboutdeschosesetellemeditnecompartimentepasetellemeditmélangelesrèglesetdistribuelesjeuxetellemeditd'arrêterderéfléchiretellemeditellemed chantier provisoire, en paysan-musaraigne, ces constructions souterraines, je m'essouffle à travailler la terre-taupe, à la rejeter par-dessus moi, je voulais, je voulais révolutionner, le monde, la poésie, et me voilà, dans l'agriculture, domestiqué, un personnage SINGE, mime ce qu'il y a à mimer, redoublant les choses, inutile (SIGNE).

2.

dimensions du champ :
profondeur du champ :
rigueur du champ
protagonistes du champ :
électromagnétisme du champ :

vaste au carré
flou partout
a la densité du pain noir
agrégats de mots en noms propres
mouvements apparents


3.
hors champ : bois-buisson, puis en ville, chez l'éditeur, rivière (sous l'eau), etc.
sont retirés du champ : les honneurs, vivre sans transitions, etc.
et les expressions suivantes : "réussir", "t'attendre à", "les marchés financiers", "la route sans les ouvriers", "mon regard de haine", etc.
la première fois : dans l'avant-printemps, le respect ne vient pas seul, branches préparées pour le vert, vert liège, vert pomme, vert wagon, prendre de la masse, remplir le plan ADN & chlorophylle, etc.
la dernière fois : en plein été, chaleur-démocratie, le thermomètre ne redescend plus dans les sous-bois, buissons brûlés à l'ozone, la dernière fois, des chaussures de sable, etc.

4.
souterrain I : palestine occupée.

5.
langue, mot, sur monde, langue sur mot monde, mon mot monde, mot monte, monte mon monde, monde mot, mot miroir, mot monde, mon nom, monde miroir, mot mort, monde monte, dispositif creuse, creuse les mains touchent le vrai, les mains touchent le vrai, réalité, renversent du café sur le monde, "c'est un fait", réalité, fait des taches, lèchent, mes mots lèchent le monde, mes mots le sucent, lèchent l'entubent, démonte monde, mot à mot, le monde démonté, le mot "prise" et le mot "et", quel espace entre les mots? entre mot-monde? entre mon-monde? et mon-mot?

6.
[depuis la fenêtre du train] ce sont des vestiges. le camion dont je n'ai pas la photo. (il aura fallu six ans.) entrevoir les implications comme ses six roues. TOM entre. c'est une piste. personnage traverse plein champ. dans la diagonale 16:9. (putain la merde qu'on a dans la tête.) tu es sûr que tu vois tout ça "depuis la fenêtre du train"? tu es sûr que TOM traverse le champ? que "tout ça" n'est pas dans ta tête en tant que souvenir-de-2005? TOM se tourne, je le vois d'en haut, le train est en hauteur, surplombe le champ que traverse TOM, en diagonale TOM, se retourne, il aura entendu quelque chose, bruissant derrière les buissons, ce n'est pas crédible TOM, tant l'espace est vide, il monte dans le camion, actionne la benne, déverse son chargement, sable ou or dans la lumière du soir (matin?), remonte la benne, TOM à TOM, comme on dit mot à mot, il est vrai, je suis déjà bien loin, TGV, lorsque j'entends le coup de feu.

7.
souterrain II : les rapports confirment les craintes. les craintes nourrissent les rapports. les rapports s'empilent sur le bureau en acajou du délégué aux droits humains. les prisons visitées par le délégué aux droits humains se remplissent. les prisons en acajou confirment les craintes et nourrissent les rapports du délégué aux droits humains. les barreaux des prisons du délégué aux droits humains ne correspondent pas aux rapports. sur le bureau en acajou s'empilent les craintes, confirment les droits, nourrissent le délégué humain, remplissent sa piscine.

8.
[depuis la fenêtre du train] chaque seconde que je passe à regarder par la fenêtre du train confirme la non-existence de dieu.

tirer un voile devant les yeux.

9.
le ciel
comme un shot de vodka
— matériaux composites —
est parfois si bas
noir
file
le dos d'un mouton
qui alors
se retourne sur rien
(courant d'air)

10.
dans un champ
le feu
(au crépuscule)
éteint tous les ipods

10'.

d a n s   u n   c h a m p



    le FEU



(au crépuscule)



é t e i n t tous les ipods


11.

et la terre ouvre ses yeux gris-ciel (étangs).

12.
[depuis la fenêtre de chez moi] je vois la ville et les montagnes au loin. à des kilomètres de distance. j'ai un point de vue fixe sur les choses. je n'en veux pas à TOM d'avoir tout bousculé. un rêve est un rêve et la réalité un cauchemar. mettre en réseau est un défi dont son palindrome est la mesure. monter et descendre du camion tout ensemble. le fabriquer dans une chaîne en allemagne et le détruire du haut d'une falaise en italie dans le même temps. l'image, pas le texte. les chiffres sont l'image simultanée du texte en réseau. (arrivé ici, le numérique est inutile.) c'est le temps retrouvé de chaque objet. dans la structure, pas de différence entre le possible et le réel.

troquer du temps contre de l'espace.

13.
enfermé dans une pièce. en fait, enfermé dans la douleur et du coup tenu dans la pièce. de force. le mal le cloue au lit comme on dit, juste. un univers réduit, de poche, bien qu'il n'en dispose pas comme il veut. un univers qui se résume à l'essentiel. le regard cherche des appuis. le regard cherche des fuites, surtout. la fenêtre est une fuite. au-dessus de la fenêtre, un appui. phrase courte = souffle court. le pur présent fait souffrir. la douleur = le présent. c'est même tout ce qui le retient ici. le présent est couleur-bruit. le présent est odeur-toucher-des-draps-froissés. on peine à retrouver les objets du monde, dissous (lavis, anamorphoses).

14.
les bases nommées, on accumule de l'expérience et du retard, pour dire : tout cela ne sert pas à grand chose (prendre de la chair). TOM, on l'avait laissé dans le champ qui regarde le train passer, se dit qu'on le regarde sûrement en retour, sans savoir qui, et que ça ne le protège qu'un instant du coup de feu à venir, monte dans la cabine du camion et démarre, quitte le tas de sable en direction de l'italie, non sans patiner un peu (le camion).

15.
[depuis la fenêtre de chez moi] bien sûr j'ai un doute, et filer tout de go à la police, je n'aime pas ça, la brutalité de ses représentants les plus directs, sa fonction, pour lui dire que j'ai entendu un coup de feu déjà bien loin depuis la fenêtre du train n'est pas plausible, ni même laisser TOM comme ça, tomber TOM n'est pas correct, alors comme j'hésite, mon doute en acte, la voilà qui entre et bouscule encore tout ce qui aurait pu être prévu. (sans hésitation alors.)

16.
il sort par-dessus les toits, comme un chapeau que l'on soulève, couvercle en fonte, on peine à le maintenir, un moyen comme un autre d'échapper aux recherches, projection de gouttelettes d'eau qui glissent le long du, parcours de fuite.
fuite A = se cacher sur place, bénéficier de complicité et de la planque qui va avec.
fuite B = passer la frontière et rejoindre un pays en tout point étranger.
fuite C = un mélange des deux, s'extranéiser sur place pour ainsi dire.
= un alphabet des fuites.

(il s'avère que c'était du sang.)

17.
le regard du temps, je l'échange contre le regard d'espace [à travers des fenêtres]. l'eau, je décris l'eau, je vois l'eau, le peigne qui la décoiffe, lignes matières surfaces, c'est que les vents sont changeants dans la région, les courants mélangent les températures, nuances de couleurs et de vibrations qu'un martin-pêcheur vint à passer et nous dit la même chose à sa manière-vol. (frisson.)

il se trouve que l'on peint avec les deux mains.

18.
une autre piste. trace une autre piste. j'entre par la dix-huitième porte. celle de l'usine où se fabriquent des camions identiques à celui que j'ai vu sur la butte. celui planté dans le sable de la butte. celui dans le champ sur la butte de le sable. une usine en allemagne, dans le nord de l'allemagne. les ciels sont plus grands que la terre. deux cents ouvriers dont l'aspiration n'est plus politique. chacun cherchant à faire prospérer ses cellules. (a l'idée d'un cancer généralisé.) des câbles au plafond, rouges et bleus. suivre comme une fourmi les câbles qui parlent tous à la fois d'en haut. ces câbles nous mèneront bien quelque part. MAX travaille dans l'usine où se fabriquent des camions. MAX sera notre point d'ancrage en allemagne. MAX fabrique les roues. les moyeux des roues. MAX emploie la machine qui fabrique les moyeux des roues. MAX obéit au chef qui planifie la machine. obéit à la machine. tout le monde sait que les moyeux sont fabriqués en chine. c'est le milieu de la roue. (quelque chose ne tourne pas rond.)

19.
souterrain III : a récemment assisté à la dissolution de plusieurs problèmes. (son rôle n'est pas à mesurer ici.)

20.
quand ANA prend ses mains et les tord. quand ANA prend ses mains et les pose à plat sur le muret en béton. quand ANA met ses mains dans le sac plastique et en retire une seringue. quand ANA tombe et ne se relève pas. ses mains dans les poches. ses mains sur le visage. quand ANA regarde le monde lui brûle les yeux. quand ANA essaie de se soigner et tombe malade. quand ANA se réveille la nuit en sueur. quand ANA dort dans la rue. quand ANA mange et qu'elle a faim. quand ANA met ses mains devant elle pour dire quelque chose. quand ANA regarde l'heure sur sa montre lui brûle les yeux. quand les pieds d'ANA traînent par terre ou pendent dans le vide.

ANA se trouve en un centre de l'histoire. la façon dont elle a connu TOM et MAX. la façon dont elle a connu ève, léa et LIO. comment elle a connu LUC. et la manière dont elle a connu POL.

21.
le coup de feu va directement au cœur, comme aimanté. la réciproque étant : le coup cœur va directement au feu, et t'aimant, l'air de dire, ça ne sert à rien. la balistique est formelle. on retrouve TOM mort sur le champ, en diagonale. il l'empruntait en diagonale pense l'inspecteur POL. encore que "mort sur le champ = dans le champ" ne signifie pas "mort sur le champ = tout de suite", pense l'inspecteur. ça n'a rien à voir avec la balistique, pense l'inspecteur. il se remet en marche les mains dans les poches, escalade la butte de sable, monticule, élévation qui s'écroule d'autant son poids est supérieur à la moyenne des gens de son âge taille, bien qu'il soit plutôt grand pour dire quelque chose ici et gros alors.

22.
— le faisceau protonique convergeant se déplace horizontalement dans une direction perpendiculaire à un champ magnétique uniforme.
— je schème ] je relations ] je souvenirs ] et bien plus souvent oubli MAXimal ] vitesse de la lumière ]
— un proton accéléré sous 1MV n’est pas du tout relativiste, sa vitesse vaut en fait 4.7% de celle de la lumière.
— une façon de dire qui conviendrait mal à la littérature ] il y a donc relativiste et relativiste ]

23.
TOM roule vite. la cargaison rend toute tentative de dépasser inutile et les virages dangereux. TOM roule vite. TOM est en italie et espère vendre la mèche au plus offrant. TOM prend des risques. avec sa vie et avec celle des autres. TOM est mort et TOM conduit un camion. une autre manière de dire les choses? que dirait POL s'il voyait TOM conduire le camion comme il a vu TOM couché dans le champ? de la même façon. le camion est rouge. la véritable couleur du camion, la couleur de 2005, je ne m'en souviens pas. (la couleur de 2005 est-elle la véritable couleur du camion? il peut avoir été peint pour l'occasion ou repeint depuis.) mais rien ne m'empêche de penser qu'il était rouge ou, du moins, rien ne m'empêche de dire qu'il est rouge (peu importe ce que je pense, du camion, de sa couleur).

24.
EVE rêve. c'est une approximation. elle est blonde. les rencontres se font par hasard dans des cafés ou des hippodromes. elle ne connaît pas POL. un jour, elle a rêvé de TOM. elle travaille à différents changement, transformations plus ou moins radicales, avec ANA et LEA. elle compose de la musique électronique qu'elle joue parfois en public.

LEA se penche en avant. ça l'avance de peu. mais ses seins se dressent alors. elle a un sens pratique (je ne sais pas ce que cela veut dire). elle est brune. elle parle à LIO de POLitique et de cosmétiques. elle a couché une fois avec LUC, il y a longtemps. POL est un cousin par alliance.

LIO fait la loi (lionne). pour ainsi dire. elle est rousse. elle n'attend rien des autres et beaucoup d'elle-même. adolescente, elle a joué au football avec EVE. elle aime le gin tonic et la gymnastique. elle porte des chapeaux noirs et des chapeaux de couleur que l'on aperçoit de loin dans la foule.

LUC manque de chance et d'à-propos. il boîte et joue souvent les faux numéros. LUC revient sur son passé. LUC imagine son futur. LUC ne connaît aucun des autres personnages. il prétend qu'il a tout oublié.

25.
les artefacts réduits au minerai, au pétrole qui les constituent. les rapporter à leur concept, à l'idée qui les fit inventer. les rattacher à d'autres objets, avec lesquels ils interagissent, desquels ils se différencient. (il n'y sont pas.)

quand TOM avance en diagonale et sort son colt, plein champ, il crée aussi le colt, comme samuel avait créé le colt, comme john browning avait créé le browning, pour le pire et le pire, mais TOM n'avait pas d'arme, c'est ce qu'affirme POL, il tenait juste un morceau de bois venant de dieu sait où.

26.
"quitte le tas de sable". c'est vite dit. ne précise pas si c'est en avant ou en marche arrière. implications. et "patiner" ne nous aide pas.

27.

[depuis la fenêtre du train] au ralenti. le flou et le grain donnent une impression de réel, que ce qui se passe derrière la vitre, que la course de TOM, dans la diagonale 16:9, que la chute de TOM, le coup de feu et la chute de TOM, instantanés, sont vrais, je l'ai dit à l'inspecteur POL, je lui ai dit que j'ai cru voir TOM mourir, voir TOM tomber, TOM touché. il sait aussi que le film est en noir et blanc et que l'on entend le projecteur dans la salle de projection. l'amorce quitte la bobine à chaque tour, revient, s'en va et revient du bruit de l'amorce dans la bobine. plastique et métal. fin. c'est la fin du film. (c'est triste quand c'est la fin du film. non?)

28.
pas de pistes œcuméniques. plusieurs pistes. chacune son génie.

a. = la piste de sang.
des chercheurs travaillent toujours sur la recherche d'une certaine forme. surnommée "la piste de sang", qui a contribué à la défaite des états-unis pendant la guerre. est aujourd'hui transformée en autoroute nationale. "c'est une piste de sang. beaucoup de gens s'y sont sacrifiés", rappelle le lieutenant général. lors d'un accident de la route, afin de le délivrer de ses souffrances.

29.
[depuis la fenêtre du train] de ce côté-ci de la vitre. d'un niveau hypothétique. je me tiens vivant. je vise le monde. mon regard soutient celui du monde. le monde entre en moi à flots lumineux et me retourne mon reflet dans la vitre. le rôle de la vitre dans ma perception du monde. comme le rôle du langage. TOM court. je vois TOM. je vois TOM courir. à travers la vitre, je vois TOM courir. tous ces mots qui défilent et, il faut le dire, me défient aussi. je vois TOM courant, je vois la course de TOM. et derrière la vitre, j'entends un coup de feu, puis deux trois, je me bouche les oreilles, je me vois, je vois mon reflet dans la vitre se boucher les oreilles. je ferme alors les yeux. je me souviens des coups de feu et je pense que TOM est mort. que TOM est tombé au sol. que le sol s'est rapproché de TOM. que TOM a été piétiné. silence.

j'ouvre les yeux et vois mes oreilles se boucher. POL me dit : vous êtes sûr d'avoir entendu des coups de feu? comment se fait-il que nous n'ayons pas retrouvé de corps?

30.
le fait que le camion est juché, n'est pas dans une position habituelle, mais bien provisoire, a provoqué le sentiment, instable, qui s'est fait idée livre, d'une tension, m'a donné à voir les fils qui reliaient les événements entre eux, parce que le camion n'avait pas à être à cet endroit, cela indiquait que quelqu'un l'avait apporté là et que quelqu'un le sortirait de là, pour le remettre en place, à sa place, à une place usuelle pour un camion, ce qui ne veut pas dire que se trouvant en un lieu convenu, il ne serait pas au centre (?) d'un réseau, qu'il n'aurait pas été posé là par quelqu'un ni dû être repris par un autre, ce qui veut juste dire que ce réseau serait moins perceptible ainsi, me serait moins perceptible (ou du moins me l'a moins été) alors que les choses sont en place. (et tout en même temps.)

31.
souterrain IV : inverse les rôles et les tendances. on retourne sa main comme un gant. la question de la conscience. ce que je fais et ce que je me refuse à faire. "ravir", c'est enlever et très bien. ce que je fais et ce que je refuse de faire. "harigoter", au 12ème siècle, c'est couper en morceaux, déchirer, déchiqueteret caresser amoureusement une femme.

32.
il dit. elle répond. elle dit. elle répète. elle surenchérit. il demande. il questionne. il interroge. elle réplique. il rétorque. elle oppose. il argumente. elle rit. elle pleure. il crie. elle supplie. il efface. elle agrandit. mensonges après mensonges. il oublie. il construit. elle conteste. il allègue. elle prétend. il prétend aussi. il infère. il déduit. elle soupçonne. il avance. elle argue, ambitionne. il tergiverse. elle chicane. il oppose. elle dispose. il se dresse. elle glisse. il marche. elle court. il vole. elle le rabat, l'abaisse. il discourt. elle pérore. elle bavarde. il cause. elle revendique. elle exige, tempête. il doute. se tait.

33.
loin-wagon, on a eu l'idée du camion, se trouve avant-après (platon), on ne fait pas de texte avec des idées, ni sans idée d'ailleurs. loin-wagon donc, repris à d'autres, ces lignes tracent des voies inexplorées, là où TOM tombe, il est enterré, c'est que les mots se dirigent mal, troupeaux, j'interviens à temps pour éviter qu'ils ne tombent de la falaise. loin-wagon, on m'interrogera aussi sur ce qui s'est passé, je donne une suite d'énoncés protocolaires —
/ je/ je blanc/ de l’ombre particules/ vent t’attendre sous la pluie, peur/ blanc vent noir, particules, j’attends le rouge vent nuit/ rouge nuit, tache de sang peur, un microscope insipide a lieu/ feuille blanche et lettres noires, compte rendu, avant rien, expérience naît d’un nom/ bloc frontière, pronom d’une voix qui parle, se distingue de tout autre, a aussi des caractéristiques/ haute et claire, j’imagine la voix d’un homme, timbre, dans le souvenir de la machine grise, l’aiguille sur 300, et cœur?/ mince ligne rouge, 0.5 mm, tracé sur plans, ville indigo, radiographie du vent, il lui c’est l’homme, personnage au nom que l’on tait, sur la feuille/ je blanc, cassé reviens, perçois, partiel, on me dit qu’il est grand, peut-être plus grand que les hommes que je connais, comme une perche (autant de métaphores)/

34.
apportable : ou "bringsel", lanière de cuir suspendue au collier du chien "indicateur à la mort", dont il doit se saisir pour informer son maître de la découverte de l'animal mort.

artificielle : se dit d'une piste posée à l'aide d'une éponge (piste tamponnée), ou projetée goutte à goutte (piste projetée), par un pisteur, en vue d'un entraînement ou examen pour le chien de sang.

défaut : difficulté rencontrée par le chien de sang en action de recherche. d'abord il tombe en défaut (il perd la voie), puis il est en défaut (on s'aperçoit au bout d'un moment qu'il n'est plus sur la voie), il demeure en défaut s'il ne la retrouve pas, mais il relève le défaut s'il la reprend.

indices : tout ce qui permet pendant et après le coup de feu de déterminer la nature de la blessure (réaction du gibier, sang, poils, os, venaison,...)

35.
tu te dis indicateur à la mort. tu as découvert le cadavre couvert de sang. tu n'attends pas POL. tu en tires des conclusions. tu as vu un camion rouge sur la butte, le tas de sable ocre. tu as vu l'air vibrer. tu t'impatientes. tu fais les gestes de ton impatience. par exemple, tes mains changent de place sur ton visage. vont vers le nez, vers les oreilles, appuient sur les yeux. tu as vu TOM courir. TOM tomber. tu es dans le train. derrière la vitre qui redistribue le monde. le train est ce trait de couleur sale qui strie le paysage. tu entends un coup de feu. tu es déjà loin dans le train, dans le compartiment. tu t'éloignes. dans le train, tu marches. tu ajoutes ta vitesse à celle du train. derrière la vitre, depuis la fenêtre du train, tu es en défaut. derrière la vitre, depuis la fenêtre du train, tu ne te rends pas compte que tu as perdu les trente-quatre pistes jusqu'alors. il te manque des pages et des pages. il te manque l'interprétation des indices. TOM est tombé de tes yeux, dans tes yeux. TOM est-il vraiment tombé dans le monde? as-tu même une idée de la nature de ses blessures? (comment sortir d'un train qui roule et dont les fenêtres sont étanches?)

36.
la radio de cuir annonce les nouvelles de fer. la radio de fer n'annonce pas les nouvelles de cuir ni les nouvelles d'acier. la radio de plastique se consume sur le bord de la route torve. de la fumée noire, très noire et pestilentielle, s'élève de la radio de plastique. frequency modulation, gribouillage serré au crayon gris, volutes nauséabondantes. les nouvelles défilent comme le paysage défile. (c'est pratique pour celui qui est aveugle & sourd.)

37.
/ le reste, c’est à moi de combler les trous, vides entre les lettres, par dessus les mots, l’habitude y sera pour quelque chose, je sais qu’un homme respire et souffre (exemples)/ je l’observe sous toutes ses coutures, objet incomplet, au microscope de la fiction, et les absences, comme une amputation, un corps blanc, et du liquide transparent s’échappe de ses plaies/ il ne ressemble à personne, pas même à son auteur, il me mène vers celui que je serai, empreintes des personnages dans mon corps, traits, formes différentes, pour chacun d’entre eux enfoui — travail tensions/ il y a sûrement une architecture de la fiction, pour nous, lecteurs, que nous apercevons rarement, promenades impossibles, ne pas toucher, ici, c’est autre chose, faire naître un personnage, prolégomènes à un récit qui ne viendra pas/ moins flou que le reste, une pâte qui se détache du fond gris, noir et blanc de papier, en fait, trame croisée, de propriétés partielles, qui émerge, au premier nom de papier, condensation, cristallisation, on connaît la règle, on est docile devant ce qui commence/

38.
indiquer à la mort : le chien de sang "indicateur à la mort" rapporte le bringsel à son maître pour signaler qu'il a retrouvé l'animal mort.

marquer : le conducteur de chien de sang marque les indices retrouvés tout au long de la piste, afin de pouvoir éventuellement faire les arrières si le chien est en défaut. j'ai aussi entendu dire que le chien "marque", et j'utilise moi-même cette expression, il s'agit en fait du terme "montrer" décrit ci-après.

montrer : le chien de sang, lors de son travail, s'arrête sur un point précis, le nez collé dessus. à l'examen de l'endroit on retrouve souvent un indice, le chien a montré l'indice.

pose : action de poser une piste de sang artificielle. le temps de pose est le temps écoulé entre le moment où l'on a terminé de poser la piste et celui où le chien va effectuer sa recherche. s'il s'agit d'une piste au naturel, on dit alors "âge de la piste".

39.
il y a du tout. love aujourd'hui et love demain dans ce que je fais (les arrières).

40.
tu te dis indicateur à la mort. tu montres ce qui est digne d'être montré. tu indiques les brûlures au cheval et les angles éteints à ceux qui le suivent par groupes de cinq. (et tu prétends que ce sont là les doigts d'une main.)

41.
hautes portes d'une grange que l'on pousse du coude. dur est le bois strié est perceptible contre dur l'os aussi. côtoie la poussière et la paille fait comme de l'or dans les yeux. aveugle selon les épisodes la baguette était magique ne l'est plus. tendance à. le reste est illisible. pétition. répétition. POL néglige les indices. sa langue fourche à diverses reprises. prises. le reste est illisible. (fait un peu penser aux grandes portes à deux battants de la ville de troie.)

42.
/ tu vas contre le mur, et je me demande où tu es quand je referme le livre, c’est assis, dans les premières pages, que tu attends qu’on y revienne, ta patience est sans égal, identité à toi-même, fluctuations et doutes te sont interdits, tu te ressembles plus qu’aucun de nous/ on n’arrive pas à dire autre chose que grand, plus d’un mètre quatre-vingt-dix? non pas, c’est alors subjectif, propre à chacun de donner un chiffre, une image à la grandeur et aux yeux gris, ne reviendrai pas là-dessus, il pleut, dehors, le vrai extérieur, et dedans, le livre où se promènera mon personnage sans parapluie/ aux conditions de l’expérience, on évoque un décor, esquisse de montagne, rudiment de chemin, plaine stérile, maison ouverte aux quatre vents, on n’aura pas eu le temps de la terminer, des bras se referment autour de mon personnage, pour l’embrasser? pour l’étrangler? il y avait des primevères sur sa route, et soudain la nuit/ la nuit, il a peur de ce qui l’attend, au-delà des étoiles éteintes, dans l’aube qui grince, il bouge un bras, une jambe, décor de carton-pâte à papier, même les fleurs paraissent fausses maintenant, pourtant personne ne ment, c’est très clairement écrit "fiction" sur la première de couverture, en noir, il la remonte sur lui, il n'est pas fâché de ce qu'il découvre/

43.
quêter : faire le tour d'une zone avec un chien de sang afin de s'assurer qu'aucun animal blessé n'en est sorti.

reposée : endroit où l'animal blessé s'est reposé, ou n'a pu continuer en raison des douleurs, a repris ses forces et est reparti. on trouvera généralement du sang en quantité plus importante que sur la voie à l'endroit de la "reposée debout", tandis que la "reposée couchée" montrera également des traces indiquant que l'animal s'est couché (feuilles ou herbes aplaties, poils,...).

sentiment : odeur caractéristique, perceptible par le chien, spécifique à chaque animal, permettant au chien de sang de rester sur la voie du bon animal. on parlera de "sentiment de blessure" (odeur caractéristique de la blessure, de l'animal blessé) et de "sentiment de peur" (eu égard à ce que ressent le gibier blessé).

traînée : tirer derrière soi ou au bout d'un bâton pour ne pas travailler sur sa propre voie, quelque chose d'attractif, olfactivement parlant, pour le chien, dans le but de l'éduquer à la recherche au sang.

44.
je me demande ce que serait que de mettre des filtres de couleurs sur le texte (nosferatu, 1922). et comment forcer les coïncidences (le rôle du vampire étant joué par max schreck). le cinéma était muet et la littérature aveugle. je me demande ce que serait pour la littérature que de voir. la façon dont le film avance. avec la peinture et dans le rêve. la façon dont le texte avance. avec le cinéma, en cercles concentriques. pas autrement. et l'ombre des objets, ce sont les mots. les mots qui désignent les objets. mais alors de quelle façon distinguer l'ombre de cette fleur de celle de cette autre fleur? de deux roses différentes, "rose" et rose", de deux roses blanches qu'on ne saurait confondre, alors que l'on n'a que "rose blanche" et "rose blanche"? mais est-ce bien ainsi? "rose blanche" dans un contexte ressemble-t-il à "rose blanche" dans un autre contexte? (alors que l'ombre se répand et couvre tout le paragraphe.)

45.
j'utilise moi-même cette expression. ton odeur est caractéristique. c'est celle d'un savon de grande marque. je connais ton sentiment de blessure et ton sentiment de peur. mais tu n'as rien à craindre, le chien de sang s'est endormi et les dernières indications à la mort se sont faites dans les nombreux pays du sud. (en sortant, j'oublie de donner à manger à l'animal qui repose en moi.)

46.
il faudrait donner des réponses à ces questions, du moins les indiquer, de loin, comme on esquisse un mouvement, oh et puis à quoi bon toujours tout expliquer? que l'on suspend sur son chemin du geste accompli, du geste abouti. les filtres de couleurs seraient des étoiles comme ceci ******* qui indexeraient le texte. quant aux circonstances hasardeuses, elles n'ont pas attendu qu'on les remarque pour exister. elles avancent aussi dans le texte avec des masques que l'on n'est pas toujours capable d'arracher.

47.
/ vide, horizon, dans cet univers à deux et puis cinq dimensions, on se voit placer, dans l'accélérateur à particules, des lettres événements, pour y distinguer A de B ou C, car à faire tous la même chose, les personnages nous seraient confondus, déjà que grand les yeux gris ne dit pas beaucoup, et qu'il foute de temps à autre une belle femme n'y changera rien/ espoir, on est loin de cela, d'une orthodoxie en la matière, énoncés protocolaires, comptes rendus d'observations, basissätze, corde, arc blanc, tendu, nous nous sommes déjà élevés, perdus dans la hiérarchie des propositions, des phénomènes aux objets, spéculations et hypothèses, c'est que tout cela prend corps, un corps qui finira par nous la coincer, c'est quand on aura fini/ c'est quand on aura fini, que la nuit viendra, pour nous, raide et amère, le blanc vertige, posera les pieds, sur toute la feuille, comme s'il avait vraiment neigé, comme si on avait vraiment fait quelque chose, il s'enfonça en elle (mentula), dans un soupir, s'il pensait être libre ainsi, peut-être autonome, alors qu'il n'était pas encore né, qu'on procédait à des essais, dans nos laboratoires, pour le mettre au point (tests)/ et vous me demandez s'il a des gènes, il est grand et les yeux gris, je ne sais pas, jusqu'ici, il n'en avait pas, à quoi bon s'encombrer, il avait du caractère, l'histoire qui suivrait le prouvait assez, même sans l'écrire, et l'expérience est formatrice, à ces êtres de papier, elle leur revient bien, dire alors qu'il était insensible à toutes formes de manipulation, génétiques, ou la vôtre, lecteur, c'est du moins comme cela qu'il se rêvait/

48.
[depuis la fenêtre du train] TOM regarde les taches de lumière sur son visage invisible. cette maladie, il l'a toujours eue. il la porte en lui, aussi loin qu'il s'en souvienne. elle ne le laisse pas tranquille. elle le tient, jour et nuit, dehors et dedans. il avance alors avec cette inconsistance. des mots marquent son entrée en jeu et délimitent tout l'espace. (la robe se teinte d'excellence, le rouge prédomine, voisin du vert.)

49.
vent : toujours faire attention au vent, à l'entraînement comme au naturel, cela influe sur le travail du chien qui peut "prendre au vent", il travaille alors tête haute et non sur la voie, ce qui peut l'induire en erreur. de même, un jeune chien doit s'entraîner "à mauvais vent" (vent dans le dos), afin qu'il ne travaille pas le nez haut.

voie : chaude = voie fraîche d'un animal venant de passer; froide = voie ancienne (plus de trois heures); doublée = l'animal a fait un aller-retour; lavée = voie lavée par la pluie; surneigée = recouverte de neige; de change = voie d'un animal autre que celui recherché.

waidmanns heil : félicitations.

waidmanns danke : remerciements aux félicitations.

50.
je suis entré par 50 pistes. la moitié des pistes à ma disposition ont déjà été tracées. j'ai marqué l'entrée de 50 paysages par des croix. des croix de craie. (je crois je crée.) et le reste s'incline. ne vient pas au jour. ne tient pas en place. me reste alors la moitié qui se prolonge après ça. pas mieux. ni même sérieux.


À SUIVRE