DÉGAGEMENT INTERDIT

télécharger une version pdf

Le dégagement interdit est une faute de jeu du hockey sur glace. Il est interdit de dégager le palet de sa moitié de patinoire directement derrière le but adverse.
Il ne peut pas y avoir de dégagement interdit pour une équipe en infériorité numérique.










Au début des années 90, j'écris "la poésie, c'est la science du possible (empirique)".

En 1995, j'écris : "À l'origine du langage , il y a le monde (langue). À l'horizon du langage, notre action sur le monde (l’engagement)."

En 1998, j'écris : "La littérature, c'est ce qui se dit en ne se disant pas (non-prétention à la validité). C'est ce qui compte et ne compte pas, l'essentiel et le futile, etc.
La littérature est alors et par essence un engagement non engagé.
Écrire, c'est agir entre parenthèses."

En 1999, j'écris : "Telle que je la conçois, l'écriture est tout à la fois la représentation indirecte du monde et la proposition indirecte d'une autre réalité. C'est pourquoi il me paraît indispensable aujourd'hui, dans l'écriture même, de réaffirmer certaines vérités politiques, qui passeront peut-être comme des dogmes dans le cadre du consensus néolibéral dominant, et de proposer encore, malgré les carnages et les désillusions séculaires, des utopies.
Plus spécifiquement, l'écriture, face à cette complexité croissante, a le devoir, me semble-t-il, de s'organiser en rapport à ce monde. Ce ne sera plus un texte clos, ni même un fragment plus ou moins inconsistant, mais un ensemble de dispositifs, fractionnés et dispersés dans l'espace, qui réfléchiront, dans les deux sens du terme, au mieux notre époque (mélange des genres, variation des médias, recours à internet, multilocalisation des travaux, etc.). C'est en quelque sorte la réaction moderne (bis) au postmoderne. Mais cela n'a rien à voir avec un retour du religieux, du dogme, ou d'un certain moralisme, etc., ni même avec les versions "régressives" d'une écriture résistante — le retrait dans le fragmentaire ou la subjectivité."

En 2001, après avoir vu le spectacle Rwanda 1994, j'écris : "J'ai trouvé confirmation de l'importance de mêler politique et art, et des façons de le faire.
Un parallèle : Je n'ai pu m'empêcher de penser à ma poésie moléculaire, bien qu'elle ne soit pas spécifiquement consacrée à une problématique politique. Et dans cet ordre d'idée, j'ai déploré, dans ce spectacle, l'absence d'une véritable écriture à côté des indispensables témoignages, une écriture qui aille au-delà «des forces de la mort». (J'ai alors pensé à Heiner Müller.)"

En 2002, j'écris : "Ce qui rend l'écriture nécessaire n'est pas forcément une blessure personnelle, ce peut être aussi l'angoisse devant la mort, une interrogation à propos de notre statut d'être humain (dans cette partie de l'univers), une insatisfaction quant à l'état du monde (politique) ou aux rapports entre le langage et la réalité (représentations)."

En 2004, j'écris : "Entamer une véritable réflexion à partir du livre de Novarina [?] pour me loger entre son surréalisme (ce n'est sûrement pas ça) et un philosophisme poétique qui commence à me peser et ressemble de moins en moins à la vie qu'on vit ces jours-ci (à Gaza et ailleurs comme dirait J. III)."

En 2005, j'écris : "Ce que l'exposé plein de contradictions de R.L. a révélé, c'est une pensée autiste. Incapable de s'appuyer également sur le monde, il ne croit qu'à la forme, forme restreinte conçue uniquement sur le modèle du vers (pas la forme de la lettre, du mot ou du livre, pas la forme du contexte ni du dispositif)."

En 2006, j'écris : "La difficulté lorsqu'on parle de poésie contemporaine (et d'arts?), c'est à la fois de garder une exigence de forme (contre la langue muesli, le flou et l'informe), tout en n'adoptant pas une position réactionnaire, autrement dit de donner une place aux représentations contemporaines (publicité, etc.), sans démagogie (reproduction)."

En 2007, j'écris : "Changer les mots, c'est contribuer à changer les choses en changeant la représentation des choses" écrit Pierre Bourdieu à propos de Francis Ponge.
La société a des formes.
La phrase a des formes.
Le marxisme pense que ces formes se ressemblent (avant, après).
Le roman du 19e thématise l'apparition de la bourgeoisie.
En 1950, Ponge écrit "ne prenons pas les hommes pour des cons". Il n'écrit pas ça, il écrit mieux que ça, il écrit qu'il ne faut pas considérer les hommes uniquement comme des personnes politiques, que c'est réducteur.
En 2007, on agite l'entreprise, principal moteur d'action, de création.
En 2007, j'écris "nous sommes tous consommateurs".
En 2007, j'écris.
Quelle est la part de subversion du travail d'écriture?
Je me cogne contre un mur.
Je pense que la poésie établit un lieu où se tenir.
Écrire, c'est déjà résister.
La poésie a un rôle de proposition.
Utopie, c'est hors du monde.
Quelle politique après ça?
Il y a une éthique de l'insertion, du détournement.
Je suis en infériorité numérique.
La question étant alors ce que devient mon écriture entre moi et le monde.
Je ferai mes comptes avec l'histoire.
Je crois que la poésie est liée au monde qui la fuit.
Je crois que mon travail est indépendant.

Lorenzo Menoud, serialpoet