A N G A G E



tenir les premiers mots du texte, commencer par s'expliquer, articuler-faire, comme je cherche à ne pas être refait dès la deuxième ligne, choisir une police de caractère (?) et sans illusion, la croyance naïve qu'un sujet fort et qu'une écriture forte seront mieux que tout le reste, alors que les exemples qu'on a sous les yeux finissent toujours misérables, comme si plus (+) par plus (+) égalait (=) plus (+), alors que ce sont les malheurs qui vont ensemble, qui s'attirent à l'inverse du carré de la distance, association de malfaiteurs, c'était le premier point dont je voulais vous entretenir, sur le seuil, et vous laisser entrer avant moi dans ce livre qui ne sait où il va, errance au titre incomplet, je continue avec ce degré d'ouverture (égarement?), où s'engouffrent, j'aimerais tant qu'il en aille ainsi, le langage et mon rapport au monde, mon engagement, faut-il tout expliciter au risque d'être banal?, concourent à mon ANGAGE (ce RAVAIL que vous connaissez si bien), comme je passe la porte sur vos pas et referme derrière moi, avec un léger claquement (cliquetis de la serrure).

précautions avant l'emploi — secouer quelque chose de la littérature, secouer quelque chose de la politique, conserver au frais et au sec (mais à quel hauteur de bibliothèque?).

contre-indications — aucune (ou du moins pas grand chose), c'est faire preuve d'une grande équanimité.

posologie — c'est facile d'être antiraciste (par exemple) sans conséquence.

il en va ici de beaucoup d'ignorance et d'une grande volonté comme certains oiseaux migrent. (peut-on parler de volonté ou doit-on plutôt parler d'instinct ou de nécessité?) dire aussi, comme je n'en suis qu'au début, que ce projet me fait peur et que cette peur tient à la façon dont je vais procéder, mon travail ne va, ni
MO/I n'allons en sortir indemnes, exposition & tous les risques que cela comporte — surexposition et destruction principalement.

RENCONTRE AVEC DES RÉFUGIÉS

soin amer porté à d'autres désirs que le mien (ce n'est pas pour autant que je m'y dissous), souffrances et vies qui passent à grands traits, esquisses, faits divers incompressibles — qui meurt dans un camion citerne étouffé, qui gèle dans le train d'atterrissage d'un grand transporteur aérien, qui tombe d'un bateau on ne le retrouve pas, de quoi revisiter quelques lieux communs de la poésie et du vivre ensemble. (je n'exagère pas.)

au risque de paraître importun, je reviendrai, mieux, je me tiendrai sur cette tache aveugle (plaie) c'est quand on ferme les yeux (je perds là mon enfance), pour ne rien voir et développer des projets personnels qui rapportent de l'argent ou d'autres satisfactions plus ou moins symboliques. (ne pas être lénifiant.)

il est tout aussi clair que la beauté, une certaine complaisance du langage, des qualités formelles et l'horreur de l'asservissement capitaliste (faut-il encore le démontrer?) devront faire bon ménage — pensez seulement que vous ne seriez pas choqué par de beaux habits.

observatoire (je mets en place un). la tension retombe. j'aligne des mots et ne suis toujours pas sorti sur le plan qui nous regarde. bouscule.

cette indécision se marque aussi par d'incessants retours en arrière, strates, c'est ainsi que je (me) construis, le texte indiquant un important changement de point de vue (point de vie), un fond commun (pâte?) qui réunirait alors la science et l'art (pour faire court).

trouvant au cours du récit des cailloux dans mon soulier, obstacles sur mon chemin est encore une métaphore, virgules ou poings dans la gueule (certes, tracasseries administratives le plus souvent) de quel récit parlons-nous? alignement de lettres vers le mot, mouvement de phrases pour l'idée ou union des significations en vue d'une histoire? nous contentant d'avancer, nous renoncerons à l'histoire, c'est ici de la poésie je dis.

et comme pour le prouver (m'éprouver) — arbalète, plâtre mobile, ascenseur suffiront-ils et quel rapport avec violence, précarité et repas froid? aucun automatisme, on remarquera plutôt des analogies phonético-sémantiques. (cet
ANGAGE pouvant aussi signifier que je NE suis pas GAGA ou l'inverse.)

mon mouvement est le tien. je transfigure le monde et tu en supportes les innombrables conséquences (cascades). j'obscurcis une figure et tu pâlis (saumon). je joue et tu rafles la mise (remonte la pente). (attendre d'être ébloui ne serait pas de trop.)

subterfuges? je reste à l'intérieur. vais lire des livres ennuyeux comme la pluie (?), voir des films documentaires ennuyeux comme la mort (?). un regard par dessus mon épaule à la fenêtre d'en face m'apprend que je suis peu lu. l'herbe insiste. un vent balance des vérités toutes fraîches (le linge sèche au soleil). j'allume la radio. (un écho au marché des devises se fait sans larsen ni distorsion.)

je sors ma machine à écrire. une machine à écrire ne travaille pas toute seule (ni une machine à coudre, au contraire d'une machine à laver le linge, la vaisselle ou d'une machine à remonter le temps). c'est un programme qu'on lance et dont on attend la réalisation. (ne pas confondre avec ce que j'aimerais faire.) on dit un verre à vin (pour) et un verre de vin (avec). on peut dire une machine (pleine) de linge. on ne peut pas dire une machine (pleine) d'écriture. je peux mentir avec une machine à écrire (je ne peux pas mentir avec une machine à coudre ou une machine à laver).

les réfugiés cherchent refuge. les réfugiés reculent en fuyant. les réfugiés se retranchent. les réfugiés refusent tout travail. les réfugiés réfléchissent avant de parler. les réfugiés refilent leurs maladies. les réfugiés réfutent nos arguments.

au-delà d'un simple effet qui se voudrait commisération-pitié, se rendre la vie plus facile en donnant chaque samedi 1 ou 2 francs à la Roma devant le supermarché, échanger quelques propos (ai vu son fils l'autre jour de loin indique deux choses : elle ne me mentait pas quand elle me disait qu'elle avait un fils, je suis toujours loin) et autres velléités de se faire du bien, il y a un axe métallique plein de cette merde qui nous traverse de part en part, fouille fourrage fouit (une enquête).

le refrain des réfugiés. les réfugiés réformés. les réfugiés sont refoulés. les réfugiés refluent vers les villes. les réfugiés ont des réflexes lors qu'il s'agit d'échapper à la police. les réfugiés sont réfractaires à toute intégration.

sans illusion quant au succès d'une quelconque immersion. l'autre est aussi loin du je que de ses parties. je ne trouve pas plus de vérité dans l'expérience de la misère et de l'oppression que dans la connaissance de la misère et de l'oppression. (comme j'écris les rassemble?). je me demande si l'on peut former des énoncés protocolaires à partir de faits sociaux s'ils existent (et où se tient l'édifice de la science).

les réfugiés sont à nouveau fusillés. les réfugiés réfrènent rarement leurs envies. les réfugiés se réfèrent à leurs dieux. les réfugiés font refleurir la criminalité dans ce quartier. le référendum exige le renvoi des réfugiés. les réfugiés se reflètent aussi dans le miroir.

(
TTENTION SAVON). il est facile de dire qu'à se taire nous sommes (serions) complices, on nous a enfilé tellement de couleuvres dans le cul qu'elles ressortent par la bouche, on s'est acheté tellement d'objets dont nous n'avions pas besoin qui remplissent nos appartements toujours plus chers, qu'il faudrait les rendre (comme on vomit) pour pouvoir ouvrir sa gueule sans se contredire, ce qui n'est jamais agréable (l'un comme l'autre).

se servir des pas qui se font plus grands, des écarts pour sortir.

sortir demande une organisation que je trouve pas.

voile asymétrique. (
FUGIÉ joue avec moi.)

je suis celui qui écrit avec sa tablette hors de toute discussion, me voici au-delà du pensable à des années-lumière de ce que l'on imagine (sans fil).

aujourd’hui on annonce qu’on va évacuer la «jungle» de Calais. ai feuilleté quelques articles sur le net (afp, figaro, point, etc.) pas un ne questionne cette «jungle», juste des guillemets, guillemets de citation et guillemets de figuration pour cette jungle où s'ébattent les nègres illégaux, bâtards clandestins, racailles, voleurs-menteurs, qu'on renvoie sous prétexte que les gangs, passeurs-racketteurs abuseraient d'eux (la raison pour le pire).

le renvoi est un vomissement que vous me procurez de la république.

soif savoir souvenir, silence au monde qui va pendant, j'oppose mon air de ne pas y toucher.

être et d'avoir pu, portes fermées, communiquer à distance, le cheval assoupi, une économie capitaliste et des moyens de conservation hypersophistiqués — murs infranchissables, barrières électrifiées, satellites espions, armées secrètes, détecteurs infrarouges, moteurs auxiliaires, etc.

au réduit de l'être, on ne dispense pas sa peine, rares sont ceux qui ne finissent pas par mourir (étant entendu de ça et pas d'autres choses).

je chasse sur des terres qui ne sont pas les miennes, des terres abricots, le sable à la pelle, dunes hérissées, un ventre qui fuit et les marques du couteau à plusieurs endroits du corps.

le je murmure, le je réponse, le je jette par-dessus l'épaule, par-dessus bord, le je franchis, le je passe donc je suis.

à l'échelle du temps ces péripéties gravitent autour de l'axe inutile ou du moins daté, alors que ce que j'écris dure éternellement, disait Malherbe, reprenant ainsi un projet platonicien d'archives de l'être et de ses niveaux de corruption. mais que faire des réfugiés à cette échelle, finalement eux qui ne savent pas lire et qui aspirent aux pires travers du capitalisme (consommation)?

cet écart entre des ambitions révolutionnaires et des pratiques réformistes pour ne pas dire conservatrices est un paramètre de l'échec programmé de cette entreprise, tout autant que le fait que je me situe mal à priori petit-bourgeois-cultivé à errer dans les rues de Calais-la-ville que je me suis choisie.

le déguisement de la compassion n'est autre qu'une question posée par les morales nietzschéennes à tout ce qui se veut juste & bon. (sans autre solution que oui mais non.)

un soin opaque apporté à tout ce qui se tait, à tout ce qui (se) murmure et pas d'autre solution que de continuer à lancer des regards qui semblent dire que l'on savait (quelque chose).

entre parenthèses. le quotient du cercle. trouble émotion. un virage est vite pris, il faut en suivre le grain de la courbe comme la peau de cette femme que tu mets dans ton lit (et que tu baises inégalement).

retour en surface. accident volontaire. aide juridique.

on se cache dans des buissons d'argousiers et on nous retrouve petits-enfants sous la table. (pourquoi ça fait si mal quand on nous frappe avec des chaussures cloutées dans la gueule?)

on espère une démarche moins vaine que celle qui consiste à aligner des expériences vécues, des anecdotes, des noms propres, des silences et des occasions perdues.

je rejette les personnages qui se présentent à moi pour faire avancer le récit (pas d'audition). (je l'ai fait ailleurs.)

ils prennent les actions à leur charge et les réalisent (se les passer) — manifester, se laver, parler, manger et boire, chercher à partir, voler, négocier, se désespérer, recommencerecommencer.

vide. silence. ensemencé. (étoiles au-dessus des bâches et des toiles de couleurs.)

alors chaque jour, on refait tendu ce qu'on aurait dû faire la veille (et c'est un autre regard sur les choses.)

piétiné. dispersé. écrasé. dissous. (tu sauvegardes un rasoir et une brosse à dents dans ta poche.)

rigueur sans pareil un hiver se prépare inéluctable. alors vous creusez un terrier. (sans compter le vacarme que cela fait.)

attentif à vos déboires, déroutes. (on ne parle même pas de sexualité.)

j'appuie sur la touche majuscule
POUR DIRE LES CHOSES PLUS FORT. (c'est comme un cri.)

on organise un bal du samedi soir. une Afghane dansent avec un Rom. un Irakien enlace une Sénégalaise. puis les bougies s'éteignent sur elles-mêmes (et on ne sait plus si on a rêvé.)

la précarité des matériaux. s'associe à l'environnement. incrustation. parois liquides. couleurs. déchirures. taches. combustibles. sensible au contexte comme mon
ANGAGE dans le monde.

on avoisine le cap. transitions. appuis à la fois politiques et au sol, à la barrière, je me tiens car sinon plus rien ne me tient. le retour se fait enchaînés à des menottes chromées par grappes de six.

bousculade. fuite. on trouve un abri provisoire sur un chantier (maison en construction). respiration. traqué. respiration. oppression. la nuit on quitte la cachette pour chercher à manger (carottes et pommes de terre dans des jardins). plus tard, on dort où l'on peut (maison en construction, parc, bois) par petites goulées (tranches de 10 minutes).

arrange-toi. on arrive. de loin. et autant il aura fallu attendre, autant nous prendrons ce que nous devons prendre. il n'y a pas d'animaux chez les hommes. il n'y pas d'alternatives chez les animaux. (la violence règne sans partage.)

route. le vent et l'envie montent ensemble. Calais est une ville, implantée sur le littoral de la Manche, dispose d'atouts uniques : une ouverture directe sur l'Europe et notamment l'Angleterre via le.

l'ombre attend au tableau que nous ayons fini de poser nos mots pour relever une inflexion et n'importe quel parti-pris pour l'injustice. c'est plus commode d'être du côté de la loi (rien ne déborde de ces vies obturées.)

magnanime écueil. chaque jour, on écrit qu'on a bien fait/mal fait de fermer Sangatte (2002), d'évacuer "la jungle" (2009) — ils reviennent (c'est à nous demander de quoi on nous parle.)

et si l'on s'arrête et tente de mélanger des classes incommensurables, il faut parler anglais et tout continue aussi mal sans les nuances qui évitent les stéréotypes.

d'apparents raccourcis font de nous les réfugiés d'une espèce presqu'éteinte qu'on ne trouve plus que dans certains livres. (et le vieux con qui naît en moi voudrait dire qu'on s'en écarte d'autant qu'on s'éloigne de l'Antiquité.)

un savoir nous accueille et sa sollicitude ne change pas la main qui tient le manche à fortiori lorsque l'entreprise se mène en toute lâcheté depuis une chambre à Genève-confort-la-ville. (il se peut alors que l'inanité de ces paragraphes — courts de multiples façons — le signale tout aussi bien.)

mais, relativisant tout ce pessimisme de bon aloi, sortir (dans le sens d'aller à Calais) ne me sortirait pas pour autant de l'écriture (c'est que je prends ce virage), il faudrait sinon prendre les armes que Rimbaud a vendues. (l'on ne peut sortir de l'arbre par des moyens d'arbre.)

ainsi, malgré toute la répugnance que j'éprouve pour le mysticisme (dont je les distingue), nous accomplirions une série d'exercices spirituels (souci de soi etcétéra). (en fait, je n'en sais rien, voyons lorsque j'en aurai fini.)

un rideau, l'invention du corps et du masque qui va avec, le fait qu'il se plisse et une semi-transparence, prévient toute velléité de se lancer dans un récit de ce qui se serait passé. ("on en est alors réduit à formuler des hypothèses".)

crâne liquide. vision opaque. troubles partiels. la forme abnégation n'est pas leur fort (préférant retour sur investissement). (mon quotidien me tient lieu de programme et je bégaie mon calcul propositionnel — aimerais tellement me diriger comme un bateau au milieu des glaces.)

certainement une autre façon de mélanger la matière (poésie moléculaire).

le risque. le rocher. l'alternance des espaces. quand on débute en clandestinité. (écrire est toujours dangereux, on risque de se pincer les doigts ou l'électrocution, non?)

méthodologie liquide. un regard en arrière nous prouve que nous ne nous sommes que peu répétés. je multiplie les difficultés d'entente avec l'histoire. le regressus semble impossible (certes certaines accommodations.)

ne sais si je peux franchir l'enclos du
MOI. ni comment m'y prendre. réactions impératives et imprévisibles. un exemple des premières sera de veiller à mon intégrité (au risque de demeurer confiné). un exemple des secondes se manifestera dans mes contacts avec les clandestins (les questions, la langue, l'intimité).

il serait naïf de croire que l'on pourra éviter des tensions entre mon désir — écrire un grand texte à propos d'un des scandales du XXIe siècle — et les besoins immédiats des réfugiés — survivre et passer en Angleterre. (passer un grand texte, tensions immédiates en Angleterre et survivre aux scandales du XXIe siècle ne constituent en aucun cas une aire de rapprochement.)

de même que chaque refus d'éditeur (comme une éventuelle acceptation) ne dira rien de la qualité du texte que je leur présenterai — la politique en la circonstance semblant devoir occulter le reste. (double insatisfaction.)

voici comment je vois les choses — un écart me met en route, système fragile et anisotrope, l'écriture se fait alors trace de ce qui ne va pas (sans l'espoir d'une quelconque résolution), capteur multivibratoire aux oscillations instables (les contraintes s'exerçant sur le système se font plus fortes).

ruse indéniable. le cheval revient à nos principes. les réfugiés en ont peur. (on les a peu laissé parler jusque là.) on longe la forêt avec une voiture silencieuse. l'automne ressemble à la plainte déposée par les associations d'aide aux réfugiés (mal armé?).

au concours du temps, nous pouvons ajouter la variable silence. c'est quand on fait pour le mieux sans attendre quoi que ce soit en retour. aube me voit braquer un supermarché. réservoir tangible d'une épaisseur de 18 nœuds. (si je savais ce que je voulais dire.)

je bégaie une promesse. n'irai pas plus loin (trop de je). fuite des formes fixes. j'expérimente le mal qu'on me veut, le mal qu'on me fait. (sur le mode arbres caducs). des bouts de quelque chose quand même (cristallisation).

riche véhicule du temps. ça me fait quelque chose de te savoir en prison. pas moins de cinq fois je suis passé devant ces buissons sans ne rien voir. et maintenant, l'échelle du temps. (pratique pour s'y déplacer.)

cet essai emprunte la route interdite (RN 216). comment peut-on lui faire franchir autant d'obstacles sans contrôle de papier d'identité? c'est qu'il aura trouvé un certain degré de compromis (comme quand on a décidé de vivre).

un cadre propice à nos ébats, rustines sur nos cœurs meurtris, absence de tout ce qui fait des flammes et déclenche des incendies (tu oses me parler de ça?). (méfions-nous des lieux communs.)

les paragraphes clignotent et s'éteignent. les lignes se durcissent. les mots fondent. les lettres s'effacent une à une.

aucune échappatoire.

À SUIVRE